Comment grandir, au fond, c'est une vraie question.
Comment s'affirmer, en tant qu'humain, que femme, que citoyenne. Sans se prendre les pieds dans les liens de la société. Sans se dénaturer, en restant intègre, en soi.
Comment accepter de vivre. Assumer ses choix. Je n'ai finalement jamais eu de mal à assumer mes choix.
Je ne sais rien de ma mère, si ce n'est qu'elle aimait Lovecraft, Poe et les Monty Python. Ses yeux étaient verts. Ai je vraiment besoin d'en savoir plus ? Il y a ces femmes, autour, qui le temps d'une soirée m'offrent leur amour, et tout ce qu'elles peuvent de leurs maigres doigts. Il y a mon père, cette montagne, qui sait tenir le noir à distance, les cauchemards aussi. Et ça suffit. Ca a toujours suffit. On a grandi, c'était bancale, vraiment. C'était honnête, sans valeur. Sans éducation. Pas vraiment.
Les autres on s'en fout. Surtout.
Au final, l'enfance s'est passée ainsi. Et quelle enfance, des aventures, des cris, des écorchures, des larmes. Pas mal de larmes. La mort toujours là. A quel âge peut on parler de la mort à un enfant ? à quel âge dit on la vérité ?
Pierrot fait ses premiers pas, dans le couloir, entre le placard du linge et la porte de ma chambre.
Mon grand père est mort, je me souviens des lapins, de l'odeur immonde de son jardin, celle qui me prend encore aujourd'hui parfois. Les marques sur ses bras. Des camps et d'une époque que je n'ai pas connue. Mais cette histoire, ces histoires. C'est moi aussi. Les pierres de souvenirs, cachée au fond d'une malle que je ne connaitrais pas, c'est moi. Je revois la lumière de l'aube et mon père me l'annonçant.
On continue, à avancer, toujours bancals, toujours un peu.
J'apprends à lire. Une horreur, vraiment, je n'ai jamais autant souffert je crois. Mais c'est une première autonomie, la seule qui compte enfait, je ne vois pas pourquoi les gens attendent avec impatience d'apprendre à conduire .. L'autonomie, la vraie, elle est là. Je ne suis plus dépendante de mon père qui s'endort trop vite, avant la fin des romans. Je me noie là dedans, avidement, et avec la bénédiction des gens qui m'entourent. Presque.
Il y a cette femme, qui ne comprend déjà pas, mais qui est là. Elle crie, elle me fâche, de vouloir lire, d'inventer des histoires, de ne pas vouloir jouer avec les autres, comme les autres. Je suis sa fille. Un peu aussi.
Son père meurt. Le décor change. De nouvelles femmes apparaissent. Devant Edward aux mains d'argent, je sens mes ailes pousser. Je les déchirerai plus tard. Je commence à être morte de trouille. Et puis il y a cette gamine, et sa mère, qui se lieront pour les dix prochaines années. Avec leur lot de valeurs.
De nouvelles histoires, un nouveau monde, des chats, des arbres, un ours et des framboises. De la magie, de la lumière. Les chansons de Piaf. Une fascination pour les entre deux mondes. Des larmes, des cris, des bouquins toujours trop de bouquins.
Premier amour aussi, premières visions du vraie monde. Enfin pas tout à fait. Je vole déjà depuis des années.
Premières pensées autour du suicide. Je crois. Je blesse mon père.
Le décor continue de changer, c'est un mouvement lent encore.
Les druides et les forêts disparaissent. Laissent place à quelques histoires berbères, à des cabanes au milieu des bois, aux coup de gueules et à l'amour d'une nouvelle femme, d'un nouveau couple qui ressemble à ce que j'espère, pour plus tard. J'attrape toutes les miettes de savoir et d'humour qu'ils laissent rouler.
J'attends qu'une femme apparaisse, pour m'emmener loin. Nourrie à coup de romans courtois, et de souvenirs irlandais. Entre plein de choses.
Je commence à comprendre, qu'il est facile d'effleurer les rêveurs, que les livres sauvent, que la haine, l'amitié, la compassion, c'est humain. Mais que l'humain ne cherche pas à comprendre. Et qu'il a peur devant l'incompréhension. Des rencontres, encore. Des histoires à inventer. Ou d'autres simplement trop réelles.
J'ouvre une nuit d'ennui, une fenêtre sur le net, et je tombe par erreur peut être, dans un autre monde, un peu comme Alice, pas vraiment comme Alice. C'est un entre deux, où les histoires sont autorisées, où le savoir est partagé, à porté, où l'on peut tout ou presque. Hasard des rencontres. Et elles me construisent aussi. Encore aujourd'hui. Et cette fenêtre me sauve, de l'incompréhension.
Et lui commence à me raconter le vrai monde.
Je lis Antigone d'Anouilh. Plusieurs fois. Une centaine de fois peut être.
Je danse les volets fermés, il y a la musique, je ne sais laquelle, je danse à m'envoler, je célèbre le monde, ou que sais je. Mon père appelle, sa mère est morte. Il y a le reflet dans le miroir, avec mes yeux qui prennent soudain le poids de 1000 ans. A l'enterrement, je comprends ce qu'est notre famille, au delà de nous trois, il y a ces deux femmes, leurs enfants, qui sont là, qui ont toujours été là, avec leur amour. Je suis leur fille. J'ai grandi dans leur amour, même si je ne le savais pas jusque là.
Je croise ses yeux. Je continue d'avancer. Le vrai monde est là. Et j'apprends à l'accepter. Ou à oublier le reste. Plutôt. Je me dégoute un peu de la foule, celle qui me demandait d'être comme elle. Je tombe amoureuse. J'aime cette lumière, j'aime ces souvenirs. Je tombe amoureuse, et j'en hurle, j'en crève de douleur, j'en jouis. Je me perds dans mes sentiments, parce qu'une fois de plus, ils sont à cette image, bancals, ou volatiles, ou trop nombreux, ou perdus éparpillés, noyés de lumière, de la pluie. Ils n'ont pas la .. simplicité ou la monotonie des autres, celle qui est enseignée.
Julien s'est suicidé. J'ai retrouvé plus tard une photo de nous à 5 ans, je tiens sa main. Je ne pourrais pas effacer le souvenir. Je me prends une claque devant la force de sa mère.
Je deviens femme. Je commence du moins. Mon corps change et je ne peux aller contre ça. Il n'y a pas de mode d'emploi là dessus, il n'y a pas de formule secrète, s'accepter et comprendre ce qu'on est, ne s'invente pas. Et j'ai vraiment besoin de comprendre. C'est un terrain mal éclairé. Je trouve des réponses, ça et là, devant Réponse de femmes d'Agnès Varda, entre autre. Avec mes exemples éparpillés, avec mes envies, mes doutes. Avec ces cadres imposés, cette pilule prise trop longtemps, avec la question de la maternité, avec mes désirs, mon corps..
Choix des études. Stupide. Et je vie seule. Et cette nouvelle vie permet de s'affirmer.
Je me rends compte, un soir, lors d'une conversation banale finalement. Que ma mère s'est suicidée. Pourquoi à ce moment là ? Une fenêtre de mon esprit s'est ouverte. J'avais si bien caché la chose, si bien fait pour occulter. Pas assez. Les souvenirs et les différentes versions de sa mort entrecoupées, la réponse était évidente. J'apprends plus tard que mon entourage n'en avait jamais douté. J'ai grandi avec son absence, par choix. C'est égoïste, c'est dégueulasse, mais je ne peux pas m'empêcher de la comprendre. Je ne sais que trop bien, que parfois il n'y a plus de raison de continuer. Même pour des gosses. De toute façon, le résultat, n'est pas si mauvais. En soi, je n'ai pas si mal grandi. Je me le répète, mais ça ne suffit pas.
Et j'avance, encore. En prenant les pieds dans ce qui traine au sol, dans l'amour des autres. J'essaye de suivre les conseils que l'on me donne et de ne plus n'en faire qu'à ma tête. J'essaye d'assumer mes choix, dans mes amours, dans mes études. Et ça bloque encore des fois. Parce que je ne suis pas sûre de comprendre comment j'en suis arrivée là. Parce que je ne sais pas comment ça marche dans la vie des autres, parce que n'allez pas croire que vous connaitrez ma vie en ayant lu cela. Quelques morceaux choisis seulement. Pour essayer de répondre, ou comprendre. Juste un essai.